17 nov. 2013

La Chine ne plait pas à tout le monde!

La Chine ne plait pas à tout le monde! 


J’habite en Chine depuis un peu plus d’un an maintenant. C’est un pays incroyable sur bien des points. Mais force est de constater que ce pays n’est pas fait pour tout le monde et, a fortiori, il n’est plus fait pour moi ou les gens comme moi, ceux qui voyagent pour expérimenter, goûter, voir, comprendre et apaiser leur curiosité.

J’y étais allé avec mon ignorance d’Européen entre la fantaisie de la richesse culturelle et historique du pays et les doutes quant au gouvernement en place et la politique qu’il peut appliquer à sa population. J’en repartirai un peu moins ignorant.
La Chine est devenue une sorte d’Eldorado, un peu comme pouvait l’être l’Amérique. Un endroit où l’on s’imagine que bien des choses sont possibles tant le développement du pays est rapide.
On s’imagine, malgré toute la culture que l’on peut posséder, que nous, étrangers du pays et de sa culture, pouvons arriver comme des colons, une pincée d’insolence, une de chance, une autre d’intelligence (peut-être) et y faire notre vie comme nous ne l’aurions pas pu en France ou ailleurs.

La Chine choisit ses immigrés

Cela est encore possible, mais la Chine a décidé d’y mettre ses règles du jeu – à raison, elle a la main sur les décisions. La Chine a donc décidé, doucement mais sûrement, de choisir son immigration sur des standards précis : ses besoins. A coups de lois sur l’immigration, il apparaît évident que vivre en Chine, simplement y vivre, devient un parcours du combattant dont les seules armes à disposition seraient l’argent, le « guanxi » (les relations) ou des compétences spécifiquement définies (docteurs, ingénieurs, scientifiques…).
Sans ces armes, il faut beaucoup de courage et une bonne raison de vouloir se torturer à persister : j’ai choisi pour ma part de ne pas lutter. Je n’entre dans aucune des cases souhaitées et je ne compte pas me battre contre la machine pour réclamer une part d’un butin que je juge par trop d’aspects précaire et peu enviable.

En Chine, personne ne sait jamais

En septembre de cette année, une rumeur circule : une nouvelle loi sur les visas va sortir, mais cette fois, c’est pas pour du beurre, c’est pour de vrai.
Comme toutes les fois, on panique un peu, on cherche l’info du mieux que l’on peut et on se butte à l’évidence : personne ne sait. Car en Chine, personne ne sait jamais.
On s’y fait, et comme nous sommes humains, après la panique vient l’indifférence ; on traitera ça quand cela sera sous notre nez, au dernier moment, « Chinese Staïle ».
La loi passe, c’est une hécatombe : on se croirait dans un roman noir. Tout le monde parle (mais on ne sait jamais trop de qui) de cette personne qui n’a eu que 14 jours de visa au lieu d’un, deux ou trois mois, sans possibilités de refaire un visa par la suite. On questionne nos réseaux (car oui, on a tous notre système de visa, notre agence, notre contact), personne n’est capable de répondre : il faut venir et essayer pour savoir.

3000 ans de culture administrative

La Chine a cela de particulier, que l’administration française ferait presque rêver : 3000 ans de culture administrative vous laissent un système implacable.
Ceux n’ayant pas la chance d’avoir un visa de travail (qui, pour être obtenu, doit être validé selon des critères tout autres qu’une simple entreprise vous employant) se ruent sur un visa business : avec celui-ci, vous n’avez théoriquement pas le droit de travailler pour une entreprise chinoise. Dans la réalité, c’est probablement le visa le plus utilisé pour le faire.
Toutes les entreprises ne souhaitent pas vous payer l’aller-retour depuis l’Europe pour un visa de travail quand un simple petit séjour à Hong-Kong ou autre pays limitrophe suffit et puis surtout, rien ne garantit que le visa sera accepté – il faut justifier d’un certain nombre d’années d’étude couplées de deux années d’expérience, une visite médicale dans votre pays d’origine et une invitation de l’Etat chinois à transmettre à l’ambassade ou consulat chinois de votre pays d’origine. Et rien ne garantit qu’au final, votre visa sera accepté (même s’il l’est la plupart du temps).
Alors que le visa business, c’est le pied : c’est le truc qui vous fait croire que vous êtes dans la légalité et qui vous permet de rester dans ce pays autrement qu’avec le label « touriste ».

Désormais, des visas de... quatorze jours

Sauf que voilà : jusqu’à présent, ces visas pouvaient s’obtenir avec une certaine facilité. En fait, il suffisait d’aller dans une agence quelconque et y déposer une photo et une carte de visite et bam ! La magie opérant, le lendemain, vous vous retrouviez avec le fameux papier collé aléatoirement dans votre passeport.
Sauf qu’à présent, on régule. Fini les petits visas de quelques mois : si vous n’avez pas les moyens de sortir le grand jeu (un visa d’un an ou de six mois), vous n’aurez rien : le consulat vous fera savoir que vous êtes resté trop de temps successivement en Chine – une autre façon de dire « Merci, c’est gentil, mais là, il vous faut penser à partir, ou rentrer dans le cercle normal » – avec l’attribution d’un visa de quatorze jours à la place des deux mois souhaités.
A ce moment, quand vous tenez dans vos mains ce petit carnet avec ces petits quatorze jours, vous vous dites qu’il est temps de faire le point sur votre situation. Vous pouvez faire une extension de visa (un mois) si on vous l’accorde. Vous pouvez faire un visa long si vous en avez les moyens, puis vous pouvez faire le calcul du coût de la vie et de sa qualité et vous rendre compte, comme moi, que cela n’en vaut sans doute pas le prix.

En Chine, on ne vous pardonne rien

Car la classe moyenne chinoise vous a rattrapé. Vous gagnez peut-être un peu plus que le salaire moyen mais vous payez absolument tout plus cher, en particulier ce qui importe : loyer et bouffe. Car en Chine, c’est à la tête du client et si votre tête est blonde, on vous confond mystérieusement avec un distributeur à billets. La coupe de cheveux sans doute, ou l’habitude – oui, avant, les étrangers étaient mieux lotis que les locaux.
Ce n’est plus le cas, car en plus de votre loyer et de vos besoins quotidiens, vous avez ce fichu visa, et le séjour dans une autre ville qu’il représente à intervalle régulier, vous devez le payer. Au final, vous vivez un peu mieux qu’en Europe avec, en plus, le doute constant de ne pas savoir si vous resterez : personne ne reste indéfiniment en Chine.
En Chine, on ne vous pardonne rien, vous n’êtes pas chez vous, on vous le fait sentir et on vous le dit quand vous faites remarquer votre traitement : « This is China ».
Je vous déconseille fortement la crise de nerfs que vous souhaiteriez faire passer sur un local, car en Chine, vous n’êtes pas chez vous. Quoi qu’il arrive, vous n’avez pas raison et ce quelle que soit la situation (à moins d’avoir de bons contacts locaux, de l’argent, ou une preuve irréfutable en béton armé).

Les Chinois nous voient de passage

On s’y fait (vraiment), au bout d’un moment on devient plus calme et apaisé, on ne cherche plus à critiquer. On a passé le moment crucial de l’autocritique made in China. Après tout, se dit-on, ils ont réussi à avoir une économie forte, une croissance forte, un pays qui construit constamment et un niveau de vie qui augmente tous les jours et moi, dans tout cela, je ne suis qu’un petit « Laowai » (étranger) qui cherche une part du gâteau.
A raison, les Chinois ne nous voient pas autrement que de passage. Nous sommes là, tous, pour gagner notre vie car cela est possible ici et, éventuellement, la gagner mieux qu’eux. C’est un fait, personne ne vient en Chine pour être pauvre ou faire le travail d’un local. Vous y venez avec une ambition, et vous finissez par le comprendre : si vous êtes venu pour autre chose, la seule raison qui vous a fait rester face à vos désillusions, ce sont les possibilités économiques. Vous avez réussi le miracle de vous mentir à vous-même. Bravo, vous avez réussi votre intégration chinoise.
En tout cas, c’est l’image que l’on finit par se renvoyer tant, finalement, le pays n’a rien d’autre à vous vendre et que vous aurez du mal à justifier votre présence par « l’amour de la culture chinoise ».
Car oui, si vous y allez pour la culture, vous tomberez de haut et finirez par avoir le complexe de supériorité imprimé sur le crâne comme les trois quarts des étrangers vivant ici :
« Les Chinois sont idiots, les Chinois ne savent pas marcher, ne savent pas conduire, ne savent pas manger, ne savent pas se tenir, ne savent pas être courtois… »

Oh ! Mais j’ai de très bons amis chinois !

La liste n’en finira plus, jusqu’au point où vos discussions tourneront une fois sur deux sur ce que les locaux vous ont encore fait, sur ce qu’ils ont fait à eux-mêmes, à votre bureau ou dans le métro, partout.
Finalement, vous finirez par vouloir vous en différencier :
« Oh ! Mais, j’ai quand même quelques très bons amis chinois ! Mais ils ont fait leurs études à l’étranger. »
Et votre interlocuteur de répliquer : « Ah ! Je me disais, aussi... » avec un rire complice.
Oui, vous ne supporterez plus les différences « culturelles » qui n’ont de culturel que le nom. Car cela n’a rien de culturel. C’est une société qui est passée en moins de vingt ans de la campagne à l’industrialisation, l’hyperconsommation, et d’un pays du tiers monde à l’une des plus grosses puissances mondiales. « We have money, we don’t care » (on a de l’argent, on s’en fiche), vous diront certains.
Le pays est allé simplement plus vite que ses habitants, dont les parents et grands-parents ont connu famine, maladie et autres malheurs… Mais dans l’instant, quand un inconnu vous enfonce son coude dans l’estomac pour ne pas rater le métro (sait-on jamais, le prochain ne viendra peut-être jamais), vous ne pensez à rien de tout cela, vous faites la tête du méchant étranger et laissez votre esprit analytique dont vous êtes si fier au placard. Il s’excusera peut-être, ou se contentera de vous ignorer.

Vous ne voulez pas devenir un expat’ raciste

Les paysages sont beaux et incroyables. Paraît-il. Cependant, comme vous êtes dans une ville et dans un quartier résidentiel pour étrangers, vous n’en profiterez sans doute pas. Vous n’aurez pas le temps de les visiter, sauf au moment des vacances chinoises – même date pour 1,5 milliard de personnes.
Autant vous dire que vous n’irez nulle part sinon dans votre pays d’origine sous peine de vous retrouver coincé entre un millier de Chinois et quelques étrangers perdu, comme vous, dans une foule amorphe et dense faisant la queue sur la Grande Muraille, dont vous ne pourrez pas vous extirper avant quelques heures de galère.
Finalement, ne vous resteront que votre travail, votre « bon » salaire, et vos anecdotes sur les Chinois. Assez de choses, en fait, pour tirer une conclusion : soit vous avez raté votre rêve chinois, soit vous êtes venu trop tard, soit, bêtement, ce n’est pas pour vous.
Vous ne voulez pas devenir l’un de ces expatriés racistes et condescendants, vous ne voulez pas devenir un expat’ admiratif et intégré qui fera remarquer aux autres à quel point, lui, aime manger la nourriture chinoise baignée dans l’huile, aime la culture chinoise, sait rester compréhensif, ne critique jamais les locaux ou le gouvernement chinois. Et surtout, il vous fera remarquer que tout comme son pendant, il se berce d’illusion et se ment.
L’un n’est en rien supérieur, l’autre n’est en rien intégré ; il fait comme tout le monde : quand il lui prend l’audace de manger un repas chinois sur une étale de rue, il a au mieux une diarrhée, au pire une indigestion (mais vous contera l’histoire de son aventure avec un œil brillant et une admiration pour l’art culinaire local).

La Chine vous apprend le calme

Me concernant, l’impression qu’il m’en restera sera celle d’un rouleau compresseur, écrasant sans remord aussi bien sa population que les immigrés souhaitant y vivre (a priori, l’un comme l’autre, en paix).
J’aurais eu la chance d’apprendre ce que sont le racisme et la discrimination (positive ou non) quand on en est la victime : en tant que caucasien, blond, francophone et de province, je n’aurais pas pu l’expérimenter à ce point dans un autre pays et, il faut l’avouer, cela me rend reconnaissant de maintenant comprendre comment un simple regard peut être une insulte, comment une bête question peut être une attaque et vous donner l’envie d’exploser de colère.
Oui, cela, je n’aurais pas pu en avoir l’expérience en France. La Chine, elle, vous apprend à devenir calme, ou à ne jamais l’être : on ne se bat pas contre une marée humaine, on se laisse doucement pousser par les vagues ou on sombre à vouloir se battre contre elles.
Je ne veux pas détester la Chine. Il y a certaines choses ici qui sont belles et il y a des gens tout à fait appréciables. Malheureusement, que ce soit de mon fait ou du leur (ou des deux), je refuse de me mentir et d’aimer ce que je n’aime pas, d’accepter ce que je n’accepte pas ou de prétendre être ce que je ne suis pas : pire, de devenir ce que je ne veux pas être. A la Chine, donc : merci, et au revoir.

source Rue89

 Stratégie Chine

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